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Payer pour mourir
Sebt ait Rahu (Maroc), 18 décembre (EFE) .- Un Saad Kataloni, muet et pâle, regarde, avec des yeux rouges, la terre aride à travers la fenêtre du bus pour retourner dans son village, une ville du centre du Maroc à 1 800 kilomètres d’où il est parti , Dakhla. Dans sa tête, des images d’eau et de mort d’il y a cinq jours, lorsqu’il a tenté, sans succès, de mettre les voiles sur un canot à destination des îles Canaries depuis les rives du Sahara occidental. À 19 ans, Kataloni a vu ses amis se noyer sous ses yeux. Il a été sauvé en portant un gilet lorsque le bateau a fait naufrage peu de temps après son départ, coulé par le surpoids des passagers supplémentaires qui sont montés à bord à la dernière minute. Désormais, de retour dans sa ville natale dans une région du Maroc où beaucoup rêvent d’émigrer, il cherche des moyens de travailler sans quitter son pays, car l’inverse « c’est comme payer pour mourir ». Il, dit-il, ne tentera plus de traverser vers les îles espagnoles par la route migratoire la plus dangereuse du monde, où selon l’Organisation internationale pour les migrations au moins 785 personnes sont mortes entre janvier et octobre, un nombre très faible puisque beaucoup finissent englouti dans l’eau sans jamais le savoir. « LE BATEAU S’EST SÉPARÉ EN DEUX. IL Y AVAIT BEAUCOUP DE MORTS » Nous sommes le 17 novembre et Saad voyage avec Efe dans le bus de retour de Dakhla à Sebt ait Rahu, une ville à environ 150 kilomètres au sud-est de Rabat. Je ne reçois que ses vêtements et une couverture, qu’elle donne à une mendiante âgée à un arrêt routier. L’argent pour le billet lui a été envoyé par sa famille après le naufrage, qu’il a encore rapporté sous le choc. « Plus d’émigrants sont arrivés que prévu et, après avoir appareillé, à une cinquantaine de mètres de la côte, le bateau s’est divisé en deux. Il y a eu de nombreux morts. » Parmi eux, des amis à lui qui avaient payé 2500 euros pour embarquer sur le bateau et dont les corps ont poussé la marée jusqu’à la plage. « Leurs parents sont venus les récupérer. C’est pourquoi j’ai décidé d’y retourner. » « Je ne vais plus m’aventurer dans un bateau. C’est comme si tu payais pour mourir. » Le souvenir encore frais, Saad est clair : « Je vais retourner dans mon village pour étudier et trouver un travail. Quand j’aurai un salaire, ce sera plus facile de voyager en Europe avec un visa. » Presque un mois après ce voyage en bus, Efe part à la rencontre de Saad dans sa ville. Il s’est inscrit dans une auto-école et souhaite travailler comme transporteur, même s’il regrette que même pour obtenir un travail comme celui-ci, il faille avoir un « plug ». Il a quitté ses études il y a deux ans, en dernière année de lycée, après quoi il a travaillé comme boulanger et menuisier. A Sebt ait Rahu, avec quelque 9 000 habitants, comme à Mulay Buaza, la ville voisine où se trouve l’auto-école, la vulnérabilité est évidente. Les routes sont en mauvais état, les services sanitaires sont rares, l’éclairage public est quasiment absent et le réseau internet est très faible et est constamment coupé. Les deux villes sont reliées à Rabat par un seul bus dont le chauffeur jure à chaque fois qu’il traverse un gouffre : « Que Dieu punisse les responsables. Regardez comme ils ont la route ! Ils sont situés dans des régions du centre du Maroc, comme Beni Mellal-Jenifra et Marrakech-Safi, qui sont devenues ces dernières années un foyer d’exode massif de jeunes vers l’ouest ou le nord pour embarquer sur des bateaux à destination de l’Espagne à travers l’Atlantique ou le méditéranéen. CE QUI VOUS POUSSE A EMIGRER : ABANDON ET MANQUE DE TRAVAIL Certains meurent, d’autres parviennent à rejoindre l’Espagne et un troisième groupe abandonne et décide de ne plus risquer sa vie. C’est le cas de Saad, mais aussi de Buaza Ben Anaya, qui a jugé il y a vingt ans depuis Tanger (nord). L’organisateur du voyage a volé son argent et n’a pas atteint son objectif. A 56 ans, il a désormais un petit kiosque dans le centre où il vend des bonbons aux étudiants. « J’avais aussi prévu d’émigrer en 1992. Le passeur nous a volé notre argent, c’était 25 000 dirhams (environ 2 400 euros au taux de change actuel). J’ai dû rentrer à pied jusqu’à Jenifra », se souvient Buaza, qui aujourd’hui est témoin des tentatives des autres. « Les jeunes émigrent par manque de travail. Pour poursuivre leurs études, ils doivent déménager dans une autre ville, ce qui les oblige à quitter l’école et à commencer à travailler dans les champs avec leurs parents. Comme le champ est un travail difficile, ils choisir d’émigrer », résume-t-il. Pour Hanane Serrhini, spécialiste marocaine des questions migratoires, le départ de migrants de régions spécifiques comme Saad et Buaza est lié au comportement des réseaux migratoires, qui choisissent des lieux vulnérables pour opérer. Il déplore que pour certains secteurs de l’Etat l’émigration clandestine soit « une solution au chômage au Maroc » et assure que parmi les facteurs les plus profonds du phénomène figurent le manque de développement et le décrochage scolaire. Saad continue de nier avoir essayé, malgré les messages de « succès » qu’il reçoit sur son mobile depuis l’Europe. « J’ai vu des amis de ma ville qui ont émigré et qui sont arrivés. Je me suis dit que je pouvais aussi le faire pour aider mes parents et rendre la pareille, mais en réalité tu le risques. » Mohamed Siali (c) Agence EFE
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