Réalisateur : Paul Verhoeven. Scénario : David Birke.
Photographie : Stéphane Fontaine. Avec : Isabelle Hupert (Michele Leblanc), Laurent Lafitte (Patrick), Anne Consigny (Anne), Charles Berling (Richard Leblanc), Virginie Efira (Rebecca), Judith Magre (Irène). Christian Berkel (Robert), Jonas Blockt (Vincent), Alice Isaaz (Josie) et d'autres
Après les innombrables publicités et avant-premières de films, les lumières de la salle s'éteignent et l'horreur explose, on entend une bagarre entre un homme et une femme, avec de forts bruits de céramiques tombant au sol et se brisant, des gémissements et des cris probablement à cause de la dispute qui a suivi. Les lumières s'allument et on voit une femme allongée sur le sol, les jambes écartées et un homme sur le dos, habillé en noir avec un masque de ski, qui redresse ses vêtements et quitte la pièce où l'incident s'est produit. On la voit ensuite utiliser un balai pour ramasser les assiettes, les verres et les tasses cassés sur une pelle et les jeter à la poubelle.
La scène se poursuit dans la baignoire, où Michele se détend et où l'on aperçoit une tache de sang à travers les bulles. Ce qui vient d'être dit ne peut être considéré comme un spoiler (cela gâche le plaisir ou l'intérêt) car cela se passe au tout début du film, mais sera présent tout au long du film. Après une pause d'une dizaine d'années, Verhoeven, presque octogénaire, revient derrière la caméra en France avec le film de clôture de la compétition officielle du Festival de Cannes de cette année.
Les critiques ont unanimement salué le film, mais le jury le trouvera peut-être trop dérangeant pour ne pas lui décerner de prix. Verhoeven est un cinéaste qui s'est distingué par ses provocations cinématographiques – il suffit de se rappeler l'énorme impact du blockbuster « Basic Instinct » d'il y a un quart de siècle.
Le scénario, excellent, est basé sur le roman à succès de Philippe Djian. L'héroïne de la première scène et du film en général est Michèle Leblanc, riche propriétaire d'une société de jeux vidéo violents, qui le même jour, dîne avec un groupe d'amis et de famille dans un restaurant de luxe et leur raconte sur un ton léger et indifférent qu'elle a été violée, laissant tout le monde bouche bée, ne sachant que faire ou dire, au moment précis où le serveur s'apprête à ouvrir une bouteille de champagne, à laquelle l'un des présents lui demande d'attendre un peu avant de l'ouvrir.
Michele refuse le conseil d'aller à la police et la raison de sa réticence sera révélée plus tard. Il s'avère qu'elle est la fille de Charles Leblanc, un tueur en série notoire des années 70, et qu'en tant qu'enfant elle a également été témoin de certaines escarmouches de son père. Le fait est que Michele peut continuer sa vie comme si de rien n'était. De manière plus intense, mêlant peur, dégoût, colère, humiliation et peut-être un certain plaisir qu'elle a ressenti.
Ces sentiments la submergent à chaque fois que le souvenir du viol lui revient à l'esprit, et ils ne cessent de surgir lors de brefs flashbacks. Lors d'une visite à sa mère Irène, elle commente son père comme le monstre qu'il est, tout en affirmant qu'il n'est rien d'autre qu'un homme. De plus, la dame plus âgée flirte avec des hommes plus jeunes, elle peut se le permettre, et en plus de cela, elle pense à épouser le gigolo actuel, au grand dam de Michele.
Les personnages qui entourent Michele sont Richard, un écrivain divorcé d'elle qui n'a pas eu beaucoup de succès ; son fils Vincent, un garçon sans caractère ; sa compagne Josie, qui le domine à volonté, est également enceinte ; son amant occasionnel Robert, mari de son amie et compagne Anne ; l'élégant jeune voisin Patrick est marié à Rebecca, une catholique fervente. L'actrice qui l'interprète peut désormais être vue sur le panneau d'affichage local dans le film « Les Miracles du Goût ».
Ce que le cinéaste a fait est très risqué, dépeindre un viol de cette façon, qui caractérise bien sûr le film, est tout aussi inhabituel au cinéma que la victime de celui-ci, mais c'est justement le personnage avec ses propres contradictions qui correspond parfaitement à la problématique évoquée plus haut.
Elle est un thriller à l'américaine où règnent le doute sur l'identité du violeur et la possibilité de nouvelles agressions. Le penchant de la cinéaste pour la provocation et le dépassement des limites exacerbe la situation. Chaque plan est bien construit pour refléter l'ambivalence perverse du personnage principal, avec une touche d'humour ici et là servant de relief comique dans un contexte tendu et dense. Une fois de plus, Isabelle Hupert prouve ses grandes aptitudes d'actrice de premier ordre, accompagnée d'un casting remarquable.
Un film bouleversant, magnifique, un labyrinthe psychologique.
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