Journaliste du « Monde » sur le président Macron – « Ce n’est pas un hasard si l’extrême droite en France est plus forte que jamais »

Le président français Emmanuel Macron manque de vision et de cap – « c’est dangereux : pas pour Macron, mais pour le pays », a déclaré le journaliste Lhomme (photo alliance/dpa/Spoutnik/Alexey Vitvitsky)

Du 10 au 24 avril 2022, les Français éliront un nouveau président. Le favori est le président sortant Emmanuel Macron, bien qu’il n’ait pas été en mesure de mettre en œuvre une grande partie de son programme de réformes. Le journaliste français Fabrice Lhomme (« Le Monde ») voit même Macron comme un traître. Lhomme a déclaré sur Deutschlandfunk que le président n’avait pas tenu ses promesses politiques et ses engagements personnels.

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Le parti La République En Marche de Macron n’a pas de profil et n’est pas ancré dans la société civile. Le manque de vision est en partie responsable du virage à droite du pays. « Les gens sont sans boussole aujourd’hui. Et ce n’est pas un hasard si l’extrême droite est plus forte qu’elle ne l’a jamais été dans ce pays en ce moment », a déclaré Lhomme, qui a également co-écrit le livre à succès The Traitor and the Neighbor Nothing is.

L’interview en entier :

Christophe Heineman: Pourquoi parles-tu de traîtres ?

Fabrice Lhomme: Quand on s’est penché sur Emmanuel Macron, on a remarqué que de nombreuses personnes à qui nous avons parlé, dont certains proches, l’ont accusé de ne pas tenir ses promesses. Tant au niveau de son programme politique, mais aussi des engagements personnels. Ce n’était pas un ami permanent et fiable.

Sur le plan politique, tout le monde sait qu’il s’agit de François Hollande. C’est le président qui l’a aidé à devenir une personnalité politique importante. Et c’est ce Macron qui a fait en sorte que Hollande ne puisse plus se représenter. Et il a pris sa place.

Heinemann: Certains disent que le temps qu’Emmanuel Macron parte pour l’Elysée, François Hollande aurait été fini. S’il s’était présenté comme candidat, les Français n’auraient pas voté pour lui. Ne faut-il pas reconnaître que Macron a sauvé la république face à une Marine Le Pen ?

l’homme : Je ne dirais pas cela, pour une raison simple : quel que soit le candidat d’un parti républicain qui s’était présenté contre Marine Le Pen, cette personne aurait gagné. Si cela avait été François Hollande, François Fillon ou quelqu’un du camp écologiste, Marine Le Pen aurait presque certainement perdu. Leurs limites sont apparues dans le débat télévisé. À cette époque, l’extrême droite n’a pas pu obtenir plus de 50 % des voix.

« Les fêtes ne sont pas importantes pour Macron »

Heineman : Comment Emmanuel Macron a-t-il réussi à faire peser ses idées dans le débat public et à ancrer son mouvement « En Marche » dans la société française ?

l’homme: Le premier est indéniablement le succès d’Emmanuel Macron. Il est très intelligent, ne l’oubliez pas : extrêmement intelligent. Et il avait une idée précise d’où en était, notamment politiquement, la France en 2017. Et c’est vrai : il a compris comment faire ce qui apparaissait comme une offre politique très moderne et avant-gardiste. Il a estimé que la société française était prête à prendre le risque d’élire quelqu’un qui n’était pas issu des partis ordinaires et ne représentait pas des positions ordinaires.


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Quant à la fête, c’est un échec, ce qui je pense ne le dérange pas du tout. Son parti n’a pas réussi à s’ancrer dans le pays et dans le cœur des Français. Les gens ne savent toujours pas ce que signifie « La République En Marche ». Il y a des gens du camp bourgeois et des gauchistes. Il n’y a pas de colonne vertébrale. Il n’y a pas de leader charismatique.

Pour Emmanuel Macron, c’est pourtant d’une importance secondaire. Pour lui, il est important que la fête – entre guillemets – danse sur son air. Qu’elle votera ses lois à l’Assemblée nationale. De ce point de vue, il a réussi. Il faut comprendre que pour lui les fêtes n’ont pas d’importance. C’est en cela que consiste la révolution Macron : les partis n’ont pas beaucoup d’intérêt.

« Les gens d’aujourd’hui sont sans boussole »

Heineman : Dans quelle mesure Macron incarne-t-il le néant ?

l’homme : Donc, le néant : un mouvement politique propose généralement des idées. Macron a aussi un peu révolutionné cela en disant : non, il n’y a pas d’idée pré-formulée. Il faut plutôt s’adapter et agir avec pragmatisme. C’est nouveau, les Français n’y sont pas habitués. Nous sommes un peuple très politique. Cela peut fonctionner à court terme. Mais à long terme, il faut définir une vision et un cap. C’est clairement ce qui manque, et c’est dangereux : pas pour Macron, mais pour le pays.

Les gens d’aujourd’hui sont sans boussole. Et ce n’est pas un hasard si l’extrême droite est aussi forte qu’elle ne l’a jamais été dans ce pays. Si l’on additionne toutes les voix de l’extrême droite au premier tour, cela fait plus du tiers des voix. Cela ne s’est jamais produit auparavant. Et c’est très inquiétant.

« Aucune idéologie, à la place : tout et son contraire »

Heineman : Vous avez écrit : dans le monde de Macron, le marketing précède et remplace l’idéologie. Que veux-tu dire par là?

l’homme : Les gens de Macron admettent qu’ils n’ont aucune idéologie. Ils ne sont plus ni à droite ni à gauche. Ils représentent ce qu’on appelle « simultanément » : ce qui signifie parfois : tout et son contraire. Je suis pour les chasseurs et pour les écologistes. Je suis pour les migrants et contre trop d’immigration. Tout fonctionne comme ça. Le parti « La République En Marche » ne peut être assigné idéologiquement.

En revanche, surtout en 2016 et 2017, ils ont davantage travaillé sur le marketing. Bien sûr, le marketing fait partie de la politique, ils ne sont pas les seuls à le faire. Vous avez mis en lumière ces thèmes : l’humain disruptif, le jeune, l’humain moderne qui chasse ceux qui représentent l’ancien monde parce qu’il représente le nouveau monde. C’est du marketing politique. Et si vous regardez d’un côté cet aspect marketing, qui était très développé dans l’environnement de Macron, et que vous examinez la cohérence des idées politiques de l’autre, il y a un écart énorme.

Heineman : Y a-t-il un lien entre la politique de privatisation de l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée puis ministre de l’Economie Macron et le financement de sa campagne présidentielle ?

l’homme : Oui, il y a un lien. Il s’agit des personnes qui ont bénéficié de la vente d’entreprises françaises stratégiques à l’étranger, notamment des intermédiaires qui ont perçu des commissions. Macron a déjà travaillé avec certains à la banque Rothschild et ils ont financé sa campagne présidentielle. Ces opérations semblent avoir été menées légalement. Mais bien sûr cela amène des questions, nous les journalistes sommes là pour ça. Ces entreprises ont-elles vraiment été vendues pour de bonnes raisons ? Était-ce rendre service aux gens ou servir le pays ? Plusieurs enquêtes judiciaires sont actuellement en cours. Un député conservateur, Olivier Marleix, parle d’un délit de détournement de fonds et d’un pacte de corruption.

« Qui est cet homme et que mijote-t-il » ?

Heineman : Vous attendez-vous à ce que ces révélations jouent un rôle important dans la campagne présidentielle de 2022 ?

l’homme : Je ne sais pas. Lorsque vous publiez une information, en particulier un livre, vous ne savez jamais exactement comment cela affectera l’opinion publique. Notre livre est un best-seller. Nous avons vendu près de 100 000 exemplaires, ce qui est plutôt rare pour un livre politique. Notre livre est si intéressant parce qu’il met Macron sous un jour nouveau et répond à la question que se posent la plupart de nos compatriotes : qui est cet homme, que représente son mouvement politique, quel est son projet ? Ce n’est pas clair du tout.

Heineman : Pourquoi le Président a-t-il refusé vos nombreuses demandes d’interviews ?

l’homme : Pour une raison simple qu’il faut respecter : je pense qu’il part du principe qu’il n’a rien à gagner à rencontrer des journalistes comme Gérard Davet ou moi. Toute sa stratégie de communication est le modèle inverse de celle de François Hollande durant son mandat. Surtout ce qu’il a fait avec Gérard Davet et moi :

Il nous a rencontrés fréquemment, nous a fait confiance et nous a fait des déclarations très claires. Quand Emmanuel Macron s’est installé à l’Elysée, il a dit : « On voit ce qu’a fait François Hollande. On fait exactement le contraire. Il faut éloigner au maximum les journalistes ». Il se méfie beaucoup des médias. Et à cet égard, comme l’a dit Pierre Moscovici, cela a aussi un aspect populiste : quand il dit : « Attention aux médias, ils sont dangereux, il faut se méfier d’eux » – il faut être prudent quand on dit quelque chose comme ça, parce qu’après on se retrouve avec Donald Trump ou Bolsonaro.

Les déclarations faites par nos interlocuteurs reflètent leurs propres opinions. Deutschlandfunk ne fait pas siennes les déclarations de ses interlocuteurs lors d’entretiens et de discussions.

Nihel Béranger

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