Quatre cent mille voix. Un point et un pourcentage décimal. C’est ce que le candidat de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a raté pour atteindre le second tour des élections présidentielles françaises. Un résultat partiellement en ligne avec les sondages – qui le donnaient haut mais pas très haut – et qui ont poussé un journal comme Le Monde d’écrire que sa défaite « a pris des allures de victoire ».
Ancien socialiste, déjà candidat à la présidentielle en 2012 avec le Front de Gauche (expérience qui lui vaut 11,1 % et une quatrième place) et en 2017 avec la France Insoumise (19,5 % et de nouveau quatrième), à sa troisième tentative Mélenchon a accru son consensus tant en valeur absolue en termes (les voix au final étaient de 7,7 millions) et en pourcentage (21,95 %), à l’opposé d’une participation en baisse d’environ quatre points par rapport à il y a cinq ans.
Non seulement cela, l’analyse partagée du vote montre que le candidat de la gauche est premier parmi les électeurs les plus jeunes (la tranche d’âge des 18-34 ans), en banlieue et dans plusieurs villes importantes comme Marseille et Nantes. Ces dernières années, en plus d’avoir maintenu un profil très critique sur la gestion gouvernementale de la pandémie, il n’a pas sous-estimé les protestations des gilets jaunes et a soutenu à plusieurs reprises la contestation, allant même jusqu’à proposer une amnistie pour ceux qui ont subi des condamnations.
Son parti, la France Insoumise, s’inscrit dans le courant du socialisme démocratique européen et est né sur la vague des succès espagnols de Podemos (avec lequel elle est alliée au niveau européen dans le groupe Now the people) et de la campagne de Bernie Sanders en le parti primaires démocrate américain. Son assemblée fondatrice remonte au 10 février 2016 ; puis, le 5 juin de la même année, le mouvement a organisé un rassemblement sur la place Stalingrad à Paris, avec une participation d’environ 10 000 personnes. Par la suite, plus d’un millier de personnes participent à l’élaboration du programme du parti intitulé « Un avenir commun » et officiellement baptisé en octobre par un congrès à Lille.
Le sien programme, loin d’être une revue d’utopies inaccessibles, prend ses racines dans quelques thèmes classiques de la gauche européenne : l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans, la réduction du temps de travail à 32 heures, l’augmentation des salaires minimum, la nationalisation des secteurs comme les chemins de fer, les autoroutes et l’électricité, une réforme du logement social et une idée de développement liée à l’écologie, avec des investissements dans l’agriculture et l’inscription de l’eau dans la constitution française comme droit fondamental de l’homme. Sur le plan fiscal donc, l’idée de Mélanchon est d’élargir le maillage de la progressivité, en ramenant les tranches de 5 à 15 et en introduisant une forme d’équité sur les revenus financiers.
Voilà, qui ont voté pour une telle force, que feront-ils le 24 avril quand lors du scrutin pour l’Elysée ils se retrouveront à devoir choisir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen ?
Déjà au soir du premier tour il y avait deux signes : le premier c’était quand Macron, dans son analyse du vote, remerciait le candidat de la France Insoumise « pour l’honnêteté de sa campagne électorale » et le second quand, devant son supporters et devant les caméras, Mélenchon a clairement fait savoir que pas un seul des grades qu’elle a passés ne devra aller à Le Pen.
La réalité, comme toujours en politique sous toutes les latitudes, est bien plus complexe : si Macron semble dialoguer, en fait, les caporaux d’En Marche ! ils semblent l’être beaucoup moins ; et si Mélenchon a dit qu’il ne fallait pas voter pour Le Pen, en fait, il n’a jamais dit qu’il fallait voter pour Macron.
Une hypothèse bien particulière, qui fait pourtant son chemin parmi les observateurs, est que, dans la perspective des élections législatives françaises de juin prochain, Mélenchon puisse demander un « Cohabitation » à Macron, ou il pourrait proposer la direction du gouvernement pour lui-même ou pour l’un de ses membres. Nous sommes dans le domaine des négociations politiques – qui peuvent bien ou mal se passer – mais ce serait certainement un signal clair tant pour l’électorat que pour la tournure que prendrait un éventuel second mandat présidentiel de Macron, plus à gauche, du moins sur les questions sociales, par rapport à ses cinq premières années à l’Elysée.
« Au niveau constitutionnel, s’il venait à remporter le scrutin, Macron pourrait nommer un chef de gouvernement avant même les législatives », explique-t-il à Pierre roulante Ettore Bucci, chercheur pour le Global Student Forum, une ONG qui regroupe 202 syndicats étudiants et chargé de recherche au Centre universitaire de la CEI sur l’histoire de la pensée politique des catholiques dans les organisations sociales et ouvrières. « Il pourrait aussi bien accorder un cohabitation, donc, mais cela risquerait de l’écarter du soutien des républicains, qui malgré leur mauvaise passe à l’élection présidentielle conservent beaucoup de pouvoir dans diverses administrations locales. Bien sûr, l’hypothèse selon laquelle dans les cinq prochaines années Macron décide de se consacrer davantage à la politique étrangère qu’à la politique intérieure, laissant ainsi plus de place à l’assemblée législative, tient, mais il faut gagner la cohabitation et une éventuelle alliance politique, cependant, il ne serait pas une coalition ».
Équilibrage? Des mouvements tactiques qui ne comptent pour rien dans la campagne électorale ? Bucci soutient qu’en ce sens, deux types d’analyses doivent être faites. « L’un est la politique, qui est compliquée et, comme nous l’avons vu, dépend de plusieurs facteurs. Ensuite, il y en a un autre, disons quantitatif : selon de nombreux sondages, les 22 % d’électeurs qui ont choisi Mélenchon au premier tour, lors du scrutin, pouvaient faire n’importe quel choix. En effet les supporters de la France Insoumise seront appelés à un référendum interne sur ce qu’il faut faire. Quoi qu’il en soit, avouons-le, quelqu’un qui votera pour Le Pen sera certainement là ».
Le problème, à ce stade, c’est le nombre : « Il y a ceux qui disent qu’un tiers des voix de Mélenchon pourraient se retrouver à Le Pen, mais à mon avis c’est une estimation exagérée – réfléchit Bucci -, plus réaliste l’électorat que ne le fera aller à droite se réglera à 20 pour cent. Le problème est qu’à Le Pen ces chiffres pourraient être suffisants pour gagner ».
Le point se lit aussi clairement sur les nombreuses cartes électorales : Mélenchon s’est très bien comporté dans les régions du sud et du nord, bastions électoraux historiques de l’ultra-droite française au moins depuis la fin des années 1980. Cela inquiète Macron, qui sait qu’il va tout mettre en œuvre dans la confrontation télévisée avec Le Pen. A ce moment-là, le président sortant devra savoir faire preuve d’une sensibilité sociale qui lui manquait jusqu’ici, alors que le challenger – qui a sombré il y a tout juste cinq ans avec le débat télévisé – n’a rien à perdre et la présence sur l’échiquier de un candidat très à sa droite (le journaliste Éric Zemmour) la rendait presque présentable aux yeux des Français, ou du moins la faisait apparaître plus centriste et moins extrémiste qu’elle ne l’est en réalité.
Avec l’effondrement des deux forces historiquement hégémoniques de la politique française (Républicains et Socialistes, sur deux, n’atteignent pas les 7% de consensus) et la disparition du « front républicain » historique qui par le passé a déjà été un frein à l’extrême- candidats de droite – la première fois, c’était en 2002, lorsque Jean Marie Le Pen est venu aux urnes et que les socialistes ont afflué en masse pour voter pour le républicain Jacques Chirac -, tous les regards sont tournés vers les Mélenchoniens.
Dix jours après le moment de vérité, je enquêtes ils donnent à Macron un avantage sur Le Pen avec une fourchette comprise entre dix et deux points de pourcentage. C’est alors qu’au moins 40% des électeurs de Mélenchon sont indécis sur l’opportunité d’aller aux urnes ou non.
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