« Les gars, il faut qu’on s’étale ! » Junior, un Ivoirien de 20 ans, se lève et brise le silence qui règne dans le train qui relie les villes frontalières d’Irun, en Espagne, et d’Hendaye, en France.
Sur le quai de la gare d’Hendaye, patrouille de police française. Du groupe de six migrants arrivés de Côte d’Ivoire, du Mali ou de Guinée avec l’idée d’aller en France, seul Junior ose descendre du train.
« Il n’a pas de visa, ce n’est pas possible », lui dit l’un des agents en examinant son passeport.
Profitant du fait qu’ils leur tournent le dos, les cinq autres membres du groupe de Junior descendent sur les rails. « Restez là ! », lance l’un des policiers, mais l’un des migrants s’enfuit et escalade une clôture de plus de deux mètres pour se perdre en courant dans les rues d’Hendaye.
Les autres changent d’avis à l’approche de la police, leur remettant un document « refus d’entrée » et les invitant à reprendre le train.
– Une traversée de plus en plus dangereuse –
La frontière entre l’Espagne et la France, entre Irún et Hendaye, au Pays basque, est le dernier obstacle pour ces jeunes migrants africains qui veulent entrer en France à tout prix après avoir souvent, comme Junior, traversé l’océan Atlantique pour rejoindre l’archipel espagnol. des îles Canaries.
En 2021, le nombre de personnes non admises à la frontière par le département des Pyrénées-Atlantiques, où se situe Hendaye, a bondi de 120% par rapport à 2020 (13.164 contre 5.976), selon les données de la préfecture.
Face à la multiplication des contrôles, les migrants prennent de plus en plus de risques, selon des chercheurs, des associations et des élus locaux.
En octobre, trois Algériens ont été percutés par un train à Ciboure, à quelques kilomètres de la frontière. Deux Ivoiriens et un Guinéen se sont noyés l’année dernière alors qu’ils tentaient de traverser à la nage la rivière Bidasoa, qui marque la frontière.
Sur le pont de Santiago, qui traverse ce fleuve entre Irún et Hendaye, la police française contrôle périodiquement les véhicules. La passerelle piétonne parallèle est fermée par deux barrières d’environ trois mètres de haut.
Arrivé il y a moins de 48 heures à Irún, Yakuba sort fumer devant le centre d’accueil temporaire de la Croix-Rouge où il va passer la nuit.
Le masque de ce Malien de 20 ans ne suffit pas à cacher une cicatrice sur son nez, marque des barbelés hauts et pointus qu’il a sautés en juin pour entrer dans l’enclave espagnole de Melilla, dans le nord du Maroc.
« J’en ai aussi un au pied, il y avait beaucoup de sang », raconte ce jeune homme, les yeux rouges de manque de sommeil, qui affirme avoir fui le Mali à cause de « la guerre ».
Ayant tenté en vain de passer en France par la montagne, par le train ou par le pont de Santiago, il a révélé qu’il envisageait de prendre un « mafia-taxi » d’un passeur pour « 150 euros ». Mais il a finalement traversé le pont quelques jours plus tard.
– Contrôles de police remis en cause –
Du côté français de la frontière, les effectifs de la police ont doublé depuis la réintroduction des contrôles aux frontières en 2015 après les attentats de Paris, selon le ministère de l’Intérieur. Environ un tiers des points de passage entre l’Espagne et la France sont officiellement fermés en raison de la pandémie de coronavirus.
« Mais le fait et la réalité sont que les contrôles qui sont effectués sont des contrôles exclusifs sur les Noirs », dénonce Xabier Legaretta, directeur de la migration et de l’asile du gouvernement régional du Pays basque espagnol, accusations partagées par des ONG comme Amnesty International.
Les immigrés « ne sont pas informés de leurs droits » lors des contrôles, et sont empêchés de « demander l’asile », alors que ce n’est pas « le travail de la police de décider ou non » s’ils peuvent le faire, a dénoncé Íker Barbero, professeur de droit à l’Université de Bilbao.
Ces pratiques sont critiquées par Tom Dubois, un ancien garde frontière d’Hendaye qui a démissionné en 2018 pour dénoncer « la politique des chiffres ». « Certains soirs, quand on ne ramenait pas les migrants, on avait un petit mot sur la table » de la hiérarchie, raconte ce militant de gauche, qui a secouru deux migrants dans la Bidassoa en 2020.
Côté espagnol, deux policiers en première ligne sur ce dossier dénoncent, sous anonymat, le flou juridique à la frontière et avouent être prisonniers d’un « sentiment d’inutilité » face au « ping-pong » des immigrés déportés par la France, puis libérés faute de moyens en Espagne, et qui finissent par retenter leur chance.
– Essayez « encore et encore » –
Ces accusations ont été catégoriquement rejetées par le sous-préfet des Pyrénées-Atlantiques, Théophile de Lassus.
Les immigrés « qui choisissent de rentrer sans avoir demandé de visa ou de titre de séjour sont priés de faire demi-tour », a-t-il dit, niant qu’ils ne soient pas informés de leurs droits ou que des mineurs isolés soient renvoyés.
« Les règles sont parfaitement respectées. Les droits sont notifiés dans l’arrêté préfectoral et toutes nos décisions sont susceptibles de recours », a-t-il précisé.
Alors que la France vient d’assumer la présidence tournante de l’UE, Emmanuel Macron veut réformer l’espace Schengen afin de renforcer le contrôle des migrations internes.
Mais cela ne découragera pas Junior. « Mon destin, c’est la France (…) Je vais l’essayer encore et encore. »
A ses côtés, Abdul, un Ivoirien de 24 ans, acquiesce : « Ce n’est pas pire que de traverser l’océan (Atlantique), donc on ne va pas se décourager maintenant. »
tpe/mg/al/CHZ/zm
“Coffee addict. Lifelong alcohol fanatic. Typical travel expert. Prone to bouts of apathy. Internet pioneer.”