L’ONG française Utopia 56 a porté plainte pour « homicide involontaire » et « non-assistance » contre les responsables de la sécurité côtière en France et au Royaume-Uni après la mort d’au moins 27 migrants dans la Manche le mois dernier, pire naufrage en années dans ce domaine. Dans un échantillon de la complexité du conflit migratoire dans cette région, qui a provoqué une dure confrontation entre les gouvernements de Paris et de Londres, le jour même où l’association a annoncé son action en justice à Paris, à Calais, l’épicentre de la migration dramatique- politiquement, la mort d’un adolescent soudanais qui avait tenté de monter dans un camion pour traverser l’Eurotunnel et celle d’un chauffeur routier portugais décédé d’un arrêt cardiaque, prétendument après une altercation avec d’autres migrants qui voulaient monter à bord de son véhicule, étaient connus.
Le procès d’Utopia 56, l’une des associations d’aide aux migrants les plus actives de la région de Calais, est dirigé contre le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, Philippe Dutrieux, et Marc Bonnafous, directeur régional des garde-côtes, ainsi que contre Claire Hughes, cheffe de la marine britannique de sauvegarde et « contre tout autre auteur, co-auteur ou complice que l’enquête déterminera », l’ONG a expliqué dans un communiqué ce lundi. La plainte, déposée vendredi devant le parquet du tribunal judiciaire de Paris, vise à éclaircir ce qui s’est passé dans les heures avant qu’un bateau de pêche n’alerte, dans l’après-midi du 24 novembre, qu’il avait vu des corps flotter dans les eaux du canal et si le les services de secours auraient pu intervenir plus tôt qu’ils ne l’ont fait. Selon « les témoignages des deux personnes sauvées, de personnes proches du défunt et d’autres qui ont réussi à faire la traversée le même jour, des appels à l’aide ont été lancés aux services de secours français et anglais avant que les corps ne soient découverts, [pero] aucune aide immédiate n’a été fournie », explique Utopia 56.
Les migrants « ont tenté, de 02h30 à 02h40 du matin, de contacter les services de secours français et britanniques », a expliqué lundi l’avocat de l’ONG, Emmanuel Daoud, sur franceinfo. « Ils ont aussi appelé leurs proches pour leur dire qu’ils étaient perdus, que leur bateau coulait. Ce qui est frappant, c’est qu’un temps infini s’est écoulé, puisque le bateau de pêche a retrouvé les premiers corps à partir de 14h00, et c’est à ce moment-là que le sauvetage a été officiellement enregistré. Il faudra savoir, et j’espère que la justice le fera, si oui ou non ces appels ont été traités de manière coordonnée, dans le respect des lois en vigueur », a-t-il ajouté. Et il a indiqué que ce ne serait pas la première fois que les services de secours britanniques et français « se renvoient la balle » pour tenter de dégager des responsabilités.
Depuis quelques jours, l’identification des victimes du 24 novembre a été achevée. Selon le parquet de Paris, il y a 16 Kurdes-Irakiens, dont une fillette de 7 ans, une adolescente de 16 ans et quatre femmes entre 22 et 46 ans ; ainsi qu’un Kurde-Iranien de 23 ans, trois Éthiopiens, un Somalien, quatre Afghans, un Égyptien et un Vietnamien. Seuls deux des passagers ont réussi à survivre. Il s’agit d’un Somalien et d’un autre Kurde-Irakien. Ce dernier assure qu’il y avait 33 personnes à bord du bateau naufragé, mais seulement 27 corps ont été retrouvés, en plus des deux secourus.
Ce naufrage, qui a provoqué un nouvel affrontement entre Paris et Londres, a été la pire catastrophe du genre en Manche, une zone où les traversées maritimes à bord de navires précaires ont explosé – plus de 30 000 en 2021, contre 9 551 en 2020 – en raison à une sécurisation accrue à partir de 2018 sur l’Eurotunnel et les accès routiers à Calais qui ont rendu extrêmement difficiles les voies terrestres jusque-là traditionnelles de la migration irrégulière. Pour autant, ceux-ci n’ont pas complètement cessé, comme le montrent deux incidents enregistrés ces dernières heures.
Un Soudanais de 16 ans est décédé tôt ce lundi alors qu’il tentait de monter à bord d’un camion près de Calais pour se rendre clandestinement en Angleterre. Le jeune homme a réussi à monter dans le véhicule, mais lorsque le conducteur, un homme d’Europe de l’Est, s’est éloigné, le garçon est tombé de la remorque. L’adolescent est décédé lors de son transfert à l’hôpital, selon l’Agence France Presse. Dans un autre événement, un chauffeur de camion portugais de 48 ans est également décédé après une prétendue altercation avec un groupe de migrants qui ont tenté de monter dans son véhicule et qui l’auraient frappé au visage, bien qu’il ne soit pas clair que cette attaque est la cause du décès, produit par un arrêt cardiorespiratoire. Pourtant, le parquet local enquête sur l’incident, qui s’est produit dans une aire de repos sur l’autoroute A16, à quelque 27 kilomètres au sud de Calais.
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Parallèlement, l’armée française a continué d’enquêter lundi sur un incident survenu dimanche à Calais, lorsqu’un véhicule militaire tout-terrain de l’opération antiterroriste Vigipirate a effectué plusieurs manœuvres de dérapage circulant en sens inverse sur un site entouré de tentes de migrants irréguliers avant étant à moitié coulé dans une flaque d’eau, dont il n’a pu sortir qu’à l’aide d’un autre véhicule militaire venu à son secours et avec le soutien de plusieurs migrants, comme en témoignent les images d’un photojournaliste qui a enregistré l’incident. Dès qu’ils l’ont su, l’Etat-Major des Armées a condamné « fermement » comportement « totalement inapproprié » du conducteur et a promis d’infliger les « sanctions appropriées » une fois les responsabilités clarifiées.
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