Grave fracture entre police et justice en France

En date du : 28 juillet 2023 17h49

Existe-t-il un droit spécial pour les policiers ? La France en débat depuis la garde à vue d’un policier. Il aurait eu recours à des violences brutales contre un jeune homme au cours de l’opération. La protestation de nombreux policiers est véhémente.

Hedi parle calmement devant la caméra. Le jeune homme de 21 ans, dont la famille est originaire du Maghreb, a la tête déformée. Une partie de l’os du crâne est manquante à gauche. Hédi, qui travaillait dans le secteur de la restauration jusqu’à ses blessures, raconte à l’équipe du média Konbini la nuit du 2 juillet qui a brutalement changé sa vie.

Ce soir-là, lui et ses amis croisent l’unité spéciale de la BAC à Marseille, haut lieu des troubles après la mort de Nahel M., 17 ans, lors d’un contrôle routier près de Paris. Il y a eu un échange de mots.

Alors qu’Hedi se détourne, il sent un violent coup à la tête. Il s’est avéré plus tard qu’il a été touché par une balle en caoutchouc provenant d’une arme de police. La police l’a ensuite traîné dans un coin sombre, rapporte le jeune homme :

Ils m’ont battu là-haut. L’un d’eux était assis sur moi. Ils m’ont frappé avec leurs poings, avec leur bâton et m’ont cassé la mâchoire. On ne m’a même pas demandé mes papiers, ni quel était mon nom, ni ce que je faisais.

Capture d’écran de la plateforme médiatique Konbini, sur laquelle Hedi a rendu compte des événements de la nuit du 2 juillet à Marseille.

Officier de police dans Détention provisoire

Hedi tombe dans le coma et doit subir une intervention chirurgicale d’urgence. Ce que les policiers ne savent pas, c’est que la scène de passage à tabac qui a suivi a été enregistrée par des caméras de vidéosurveillance. L’un des quatre policiers impliqués est placé en garde à vue.

C’est la cause et le début d’une vague de maladies qui frappe désormais les villes environnantes comme Nîmes, Toulon, Nice et Avignon, mais aussi la capitale Paris. En début de semaine, les syndicats ont déclaré que plusieurs centaines de policiers s’étaient déclarés malades ou n’étaient qu’en service limité.

Mais le mouvement semble s’être étendu : le ministère de l’Intérieur estime que « moins de cinq pour cent » de l’ensemble des policiers du pays participent à la manifestation.

Rébellion contre Détention provisoire

Jean-Christoph Couvy, du syndicat SGP, est l’un des porte-parole de la protestation contre l’emprisonnement de son collègue marseillais. Il explique sur la radio France Info que c’est avant tout la forme qui le préoccupe, lui et ses collègues : « La détention, c’est plus qu’une désapprobation. C’est un déshonneur. »

Les policiers qui protestent reçoivent le soutien d’en haut. Le chef de la police nationale, le directeur général Frédéric Veaux, a déclaré au journal Le Parisien qu’il ne pouvait plus dormir tranquille depuis que le policier marseillais était en garde à vue. Un policier qui doit craindre un procès en raison d’allégations de faute grave dans l’exercice de ses fonctions n’a pas sa place en prison, a déclaré Veaux.

Les syndicats réclament de nouvelles lois qui protégeraient les policiers contre la détention préventive. Jean-Christoph Couvy explique : « Nous souhaitons une jurisprudence spécialisée avec des juges sensibilisés à l’usage des armes de police dans des situations extrêmement difficiles. »

Contre les principes de Traitement égal?

Les revendications des syndicats sont choquantes et contredisent les principes d’égalité de traitement, estime Patrick Baudouin, avocat et président de la Ligue des droits de l’Homme. Les mêmes règles devraient s’appliquer à tout le monde. Le président français Emmanuel Macron l’a également souligné. Personne n’est au-dessus des lois, a déclaré le président, après un tollé parmi les avocats et les hommes politiques de gauche.

Baudouin reproche au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin d’entrer en terrain douteux. Enfin, Darmanin n’a pas contredit le directeur général Veaux lorsqu’il a affirmé qu’un policier n’a pas sa place en garde à vue. «C’est vraiment inquiétant», déclare Baudouin.

Solidarité avec la police

En fait, le ministre Darmanin fait preuve de solidarité avec la police. Il tente ainsi de contenir la protestation grandissante. Peu après les émeutes et un an avant les Jeux Olympiques en France, une lutte de pouvoir en cours avec la police serait un cauchemar pour le ministre de l’Intérieur.

Darmanin souligne à plusieurs reprises sa compréhension des services de secours : « Les policiers ne réclament pas d’être au-dessus des lois, mais ils ne veulent pas non plus être en dessous des lois. Les policiers sont les seuls pour qui la présomption d’innocence ne semblent s’appliquer en public, mais une présomption de culpabilité. »

De nombreux policiers ressentent un manque de respect de la part des médias et de certains hommes politiques. Le chef du Parti socialiste, Olivier Faure, a appelé à la démission de Darmanin. Faure voit la séparation des pouvoirs en danger.

Le ministre se rapproche de la police

Les syndicats de police se sont en revanche montrés satisfaits après la rencontre avec Darmanin jeudi soir. Darmanin a promis d’examiner certaines de leurs revendications : notamment des règles spéciales pour la détention provisoire si les policiers sont concernés.

Cependant, Darmanin n’a pas encore commenté la situation d’Hedi, grièvement blessé. Son avocat a déclaré qu’il resterait très probablement aveugle de l’œil gauche.

Nihel Beranger

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