analyse
Coups d’État militaires au Niger et au Gabon, au Mali, au Burkina Faso et en Guinée – autant d’anciennes colonies françaises qui ne veulent plus accepter les intérêts particuliers de Paris. L’influence de la France est-elle en déclin ? Et quelles conséquences cela aurait-il ?
C’est une vague de ressentiment anti-français qui a déferlé dans les rues de Niamey : « La France hors d’Afrique », « A bas la France », « La France doit partir », scandaient les manifestants après le coup d’État au Niger fin juillet. Les militaires qui ont renversé le président Mohamed Bazoum sont leurs héros. Parce que Bazoum était et est considéré comme un proche allié de la France.
Environ un mois plus tard, des gens heureux marchaient dans les rues de Libreville, la capitale du Gabon. Ils ont célébré avec jubilation le coup d’État contre Ali Bongo – le président qui, comme son prédécesseur et père Omar Bongo, était protégé militairement et économiquement par la France depuis des décennies. L’influence de la France en Afrique est-elle en train de s’effondrer ?
Crépuscule de France Afrique ?
« Ce qu’on appelle France Afrique est en crise », affirme Thomas Borrel. Il est militant au sein de l’association « Suivie » et co-éditeur du recueil « L’empire qui ne veut pas mourir – une histoire de France Afrique ». « France Afrique » est le nom donné au système de gouvernement que la France a développé après l’indépendance formelle des colonies françaises dans les années 1950 afin de maintenir de facto son influence en Afrique. Pour y parvenir, Paris n’a pas hésité à recourir aux mercenaires, à la corruption ou à l’intervention militaire au nom de dirigeants individuels.
Selon Borrel, il est encore trop tôt pour évaluer si les anciennes colonies deviendront véritablement indépendantes après les récents coups d’État au Niger et au Gabon. Ou si « France Afrique » saura à nouveau s’adapter pour protéger le cœur des intérêts français. La France a toujours fait preuve d’une certaine « souplesse », d’une souplesse lorsqu’il s’agissait de protéger sa sphère d’influence en Afrique.
Dur à cuire politique d’intérêt
Les coups d’État militaires et les changements de pouvoir anticonstitutionnels au Mali et au Tchad, par exemple, ont été soutenus à volonté. L’ancien ambassadeur au Mali, Nicolas Normand, a qualifié cette démarche dans un entretien au quotidien « Le Figaro » fin août de « stabilisation à géométrie variable, selon les pays et le contexte ».
Ce principe semble à nouveau appliqué aujourd’hui : la France n’a en aucun cas fustigé les deux coups d’État militaires au Niger et au Gabon avec la même véhémence. Le président français Emmanuel Macron a réagi immédiatement, durement et même en menaçant d’arrêter le président Bazoum au Niger : « Nous ne tolérerons aucune atteinte aux intérêts de la France. Si nos citoyens français sont attaqués au Niger, notre réaction sera immédiate et implacable. » La France est entrée dans une confrontation permanente avec les putschistes nigériens. Extrémité ouverte.
Au Gabon en revanche, la réaction de la France semble plus prudente et sa position plus souple. Macron a condamné le coup d’État contre Bongo. Mais depuis, des contacts auraient eu lieu entre l’ambassadeur de France au Gabon et les nouveaux dirigeants.
Borrel : la France pratique deux poids, deux mesures
Comme toujours, la France pratique deux poids, deux mesures, critique Borrel. « Le coup d’État au Gabon ne semble vraiment déranger personne à Paris. Parce qu’avec ce coup d’État, la France pourrait se débarrasser d’un allié quelque peu compromettant. » Bongo est récemment devenu un peu trop proche d’autres intérêts étrangers, par exemple ceux des Britanniques, explique Borrel. Un symbole en fut son appel à l’aide après le coup d’État, qu’il lança à Paris, à sa grande irritation, non pas en français mais en anglais.
« Avec les nouveaux dirigeants du Gabon, Paris a l’opportunité de se débarrasser de l’agaçant Ali Bongo et de rétablir les anciens liens entre la France et le Gabon », soupçonne Borrel. Au Niger, la France veut tout faire pour éviter de perdre une autre base militaire. Après les coups d’État au Mali et au Burkina Faso, Paris a dû retirer les unités militaires françaises et mettre fin à l’opération militaire Barkhane contre le terrorisme islamiste transnational. Si la base de Niamey devait également être fermée, le Sahel serait largement libéré des soldats français.
Manipulation par la Russie ?
Cette évolution est notamment due au ressentiment de la jeune population contre la France. Paris accuse ses concurrents, notamment la Russie, d’être responsable de ce mouvement souverainiste et anti-français. Borrel pense qu’il s’agit là d’une poudre aux yeux et d’une auto-illusion. Il est vrai que des puissances concurrentes ont alimenté le sentiment anti-français dans le passé. Mais ces campagnes n’ont en rien provoqué le rejet de la France.
Cette haine est tout simplement le résultat d’une politique française caractérisée par l’hypocrisie : « Les peuples d’Afrique ne font plus confiance à la France. Ils ont entendu trop de mensonges sur la France des droits de l’homme, qui ne veut que promouvoir la démocratisation des Etats africains. » dit Borrel. Aujourd’hui, le rejet est allé si loin que beaucoup ne croient même plus que la France lutte réellement contre les terroristes islamistes au Mali par exemple. Des rumeurs circulent selon lesquelles la France financerait elle-même les djihadistes. La confiance a été tellement détruite que des théories du complot comme celle-ci surgissent.
La France, la « petite » nation
Plusieurs présidents ont récemment assuré que la France avait dit adieu à sa politique opaque des intérêts en Afrique. En 2017, Macron déclarait à Ouagadougou : « Le temps de « France Afrique » est révolu. Macron a donné l’exemple, restitué des œuvres d’art volées pendant l’ère coloniale, ouvert des archives, converti des bases militaires en bases d’entraînement et réformé la monnaie CFA, décriée comme un instrument néocolonialiste.
Tout cela n’est que du militantisme, dit Borrel. « Comme toujours, ces mesures et réformes visent uniquement à protéger le cœur des intérêts français en Afrique. » La devise est : « Tout changer pour que rien ne change ». Il ne pourra y avoir de fin à « France Afrique » que si l’armée française se retire complètement d’Afrique et si la monnaie commune, le franc CFA, n’est plus automatiquement liée à la France et à l’euro.
Achille Mbembe salue en revanche la démarche du président français. L’intellectuel camerounais de renommée internationale et théoricien du postcolonialisme, accusé d’antisémitisme en Allemagne en 2020, a récemment accompagné Macron lors d’un de ses voyages en Afrique et fait avancer le dialogue afro-français avec le président français. Dans un entretien au journal Jeune Afrique début août, il déclarait : « Macron sait qu’un cycle historique touche à sa fin et qu’il est temps d’en prendre un nouveau départ ». Mais cela ne peut réussir que si la France se remet en question. « Le vrai problème est que la France entière lutte pour se décoloniser », a déclaré Mbembe. Pour ce faire, il faudrait que la France accepte qu’elle n’est plus une grande puissance, mais – comme le dit Thomas Borrel – une « petite puissance ».
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