Favorisé ou protégé ? Quand les femmes handicapées sont stérilisées

En fait, les femmes handicapées en France devraient donner leur consentement à la stérilisation et la justice devrait s’assurer que les femmes ont compris. Mais la réalité semble souvent différente.

Dans une petite clinique pour femmes à Paris, la sage-femme Béatrice Idiard-Chamois rencontre une nouvelle patiente.

C’est une jeune femme autiste qui ne lui parle pas. Elle vient avec sa mère et une autre sage-femme qui travaille à l’établissement pour handicapés où elle doit être placée.

La mère et une sage-femme veulent que la jeune femme soit stérilisée

Ils demandent que les trompes de Fallope de la patiente soient déconnectées, alors même que la jeune femme n’a jamais eu de rapport sexuel.

La consultation se passe bien. Béatrice Idiard-Chamois mène une enquête.

La femme, qui ne peut pas parler en raison de son handicap, ne soulève aucune objection. Mais Idiard-Chamois est dérangée par sa collègue, la sage-femme de l’établissement où vit la femme, qui s’étonne que la stérilisation lui soit refusée.

Les établissements insistent sur la contraception – parfois sans examen gynécologique

Bien que ce ne soit pas officiellement noté, « ces établissements exigent toujours que les résidents utilisent des contraceptifs », explique Idiard-Chamois, car « ainsi, les problèmes peuvent être évités ». Dans plus de 100 cas qu’elle a traités, les femmes vivant dans des institutions utilisaient une forme de contraception.

« C’est l’institution qui donne la pilule aux femmes. Elle est prescrite par un psychiatre, même pas un spécialiste. Ils donnent à tout le monde la même pilule sans examen pelvien », dit-elle.

Les parents veulent généralement la stérilisation

En 2015, Idiard-Chamois a fondé la seule clinique en France dédiée aux femmes en situation de handicap à l’Institut Mutualiste Montsouris à Paris.

Depuis, elle a soigné plus de 700 patients et reçu une demi-douzaine de demandes de stérilisation de personnes handicapées vivant sous tutelle, « principalement de leurs parents », précise-t-elle.

Elle essaie toujours de les dissuader et de proposer des alternatives « moins violentes et permanentes ».

Dans le cas de cette jeune femme, sa mère et son tuteur légal ont accepté l’une de ces alternatives, mais ce n’est pas toujours le cas.

Stérilisations sans véritable consentement

« On soupçonne qu’il y a vraisemblablement des stérilisations qui sont pratiquées sans consentement réel, à la demande des familles qui les arrangent avec le gynécologue », indique le Dr Catherine Rey-Quinio, médecin-conseil à la régie régionale de santé d’Ile-de-France.

Rey-Quinio dit qu’elle a reçu en moyenne deux à quatre demandes de stérilisation par an au cours de la dernière décennie, mais seulement deux au cours des quatre dernières années. Les deux ont eu lieu en 2021 et ont été soutenus par un panel régional d’experts qui évaluera chaque demande de stérilisation.

Euronews a adressé une demande à toutes les directions régionales de la santé françaises qui n’ont pas partagé leurs données.

Les seules statistiques officielles recueillies au niveau national datent de 1998. Selon un rapport de l’Inspection générale du secteur social (IGAS), environ 500 femmes handicapées subissent chaque année une rupture forcée des trompes.

Est-il possible de s’assurer du consentement ?

« Evidemment, si une femme dit non, alors c’est non », assure Didier Seban. L’avocate souligne que la partie la plus importante de la loi est de garantir le consentement des femmes handicapées.

Le juge doit s’assurer que la personne sous tutelle comprend ce qui lui arrive.

Mais est-il facile de s’assurer du consentement ? Surtout lorsque la femme est incapable de donner son consentement oralement en raison de son handicap.

À ce stade, des abus peuvent survenir.

Un comité d’experts a son mot à dire

« Il faut être réaliste. Avec une déficience intellectuelle sévère, les femmes ne comprennent pas ce qu’on dit, elles ne parlent pas, parfois elles bougent à peine, donc on sait très bien qu’elles n’ont pas leur mot à dire », explique Ghada Hatem, gynécologue qui travaille pour le comité d’experts qui évalue les demandes de stérilisation.

De ce fait, « on demande au parent ou au tuteur quand cela nous paraît raisonnable », concède-t-elle.

Bien que l’avis du comité, composé de gynécologues, de psychiatres et d’associations, ne soit pas contraignant, Hatem affirme que le juge ne va presque jamais à l’encontre de leur avis.

N’y a-t-il pas de contraception autre que la stérilisation ?

Avant la stérilisation, les experts doivent s’assurer qu’aucune autre méthode contraceptive ne peut être utilisée. Cependant, le gynécologue rejette cet argument.

« A quoi ça sert de faire quelque chose qui n’est pas irréversible ? Si on savait que dans cinq ans son handicap serait guéri et qu’elle pourrait s’occuper de son enfant de manière autonome. Mais ce n’est pas le cas, alors pourquoi choisir quelque chose qui doit être renouvelé périodiquement », argumente-t-elle.

« Il ne faut pas rêver », convient le Dr Catherine Rey-Quinio, qui coordonne le Comité d’experts d’Ile-de-France à Paris.

La décision médicale dans ces cas est basée sur « comment nous évaluons le rapport bénéfice/risque de la procédure pour le patient ».

C’est arrivé à une patiente d’Idiard-Chamois en 2016. Le gynécologue travaillant avec la sage-femme a signé la recommandation au juge de stériliser une fille incapable d’exprimer sa volonté.

C’est la seule demande de stérilisation qu’ils ont acceptée depuis l’ouverture de leur clinique. La sage-femme dit qu’elle n’était pas d’accord et qu’elle n’a pas signé.

« La patiente était une jeune femme qui ne travaillait pas sur l’implant contraceptif, et sa mère nous pressait de signer le permis », se souvient la sage-femme, agacée de ne pas avoir pu obtenir le consentement de la patiente.

*Cet article a été réalisé avec le soutien de Journalismfund Europe.

Nihel Beranger

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