Le Monopole des inégalités : si vous êtes une femme ou une personne handicapée, vous commencez le jeu avec moins de « propriété »

Êtes-vous une femme? Et puis vous gagnerez moins qu’un concurrent masculin, en décédant. Êtes-vous une personne handicapée? Vous ne pourrez pas utiliser les stations et elles vous donneront deux points à chaque fois que vous lancerez les dés. Êtes-vous blanc, avec un héritage distingué? Vous commencez le jeu avec plus de propriétés que les autres. C’est ainsi qu’on joue au « Monopole des inégalités », qui vient d’être mis en vente en France depuis quelques jours. Une version anticapitaliste du jeu de société le plus capitaliste qui soit, qui est devenu un outil pédagogique pour sensibiliser aux discriminations de toutes sortes.

A l’origine de la nouveauté, en réalité, il y a un créateur turinois, Andrea Stillacci, fondateur à Paris de Herezie, une agence de publicité désormais implantée en France, avec d’importants clients internationaux. Mais aussi l’Observatoire des inégalités, petit organisme indépendant, basé à Tours, qui étudie depuis des années les écarts de toutes sortes (sociaux, raciaux, économiques, sexuels…). « On avait créé pour eux un film promotionnel – se souvient Stillacci – et, pour sensibiliser aux inégalités, on avait imaginé un groupe de jeunes jouant là-bas ce type de Monopoly, qui en réalité n’existait pas ». Les jeunes se sont mis en colère parce qu’ils ne se sont pas tous retrouvés à jouer à égalité. La vidéo a ensuite beaucoup rebondi sur les réseaux sociaux. « Et au final beaucoup nous avaient demandé : pourquoi ne faites-vous pas vraiment un Monopole des inégalités ? ».

Eh bien, il a fallu trois ans d’études pour en arriver là, y compris des expériences dans différentes écoles, notamment à Paris. L’Observatoire, Herezie et Hasbro, le producteur mondial du jeu, ont collaboré. Dans un certain sens, nous revenons à la finalité première du Monopoly. Car l’idée de départ était, au début du XXe siècle, aux Etats-Unis, d’Elizabeth Magie, qui inventa « The Landlord’s Game », avec laquelle elle voulait dénoncer le « caractère antisocial du monopole foncier » et de l’oppression Puis, en 1931, Charles Darrow, chômeur de la grande crise de 1929, découvre le jeu par hasard auprès de ses voisins et, profitant du concept, il crée le sien, le Monopoly, qui préfère devenir la consécration de la course à la brique.

Mais revenons à la nouvelle édition française. Destiné aux 11-25 ans et vendu directement par l’Observatoire des inégalités, il est le prolongement du Monopoly classique (joué avec la même planche, qui n’est d’ailleurs pas fournie). Il existe dix cartes qui correspondent à autant de personnages différents (et plus ou moins chanceux, et 37 cartes qui impliquent des probabilités diverses (maternité, chômage, homophobie dans l’entreprise, racisme, problèmes de santé…).

Le « Monopoly des inégalités » s’adresse essentiellement aux écoles, centres de formation et collectivités (et d’ailleurs le kit le plus complet, qui coûte 150 euros, comprend également un guide pour l’animateur, un livret pédagogique, du matériel didactique et des webdocumentaires). On commence « et chaque garçon doit jouer un personnage qui ne lui ressemble pas, pour ne pas le stigmatiser – observe Constance Mounier, chef de projet à l’Observatoire -. Nous essayons de faire en sorte qu’il comprenne que les inégalités ne sont pas inévitables ». Le jeu devrait durer deux heures, mais le jeu réel ne dure qu’une demi-heure. Le reste est un débat, provoqué par l’animateur, également sur la base des inévitables protestations et récriminations des enfants, qui se voient injustement pénalisés. Et ils réagissent. Entre autres choses, ce Monopole, à chaque injustice apposée pas à pas, donne aussi une véritable « quantification » (écrite derrière le papier en question). Cela explique pourquoi « 2,3 millions de Français vivent dans des conditions de logement précaires », « 7 % estiment que l’homosexualité est une perversion qu’il faut combattre » et « trois heures et demie, c’est le temps consacré aux tâches ménagères par les femmes contre deux pour les hommes ».

Ce n’est pas la première fois que le monopole est utilisé pour attirer l’attention sur les réalités sociales. En 1970, Robert Sommer, un psychologue environnemental de l’Université de Californie, a inventé « Blacks and Whites », qui a été relancé aux États-Unis l’année dernière pour sensibiliser les jeunes américains aux privilèges des blancs. Plus récemment en France, un couple de sociologues engagés depuis des années dans la dénonciation des inégalités sociales, Michel et Monique Pinçon-Charlot, ont créé « Kapital », un jeu de société de « sociologie critique », qui est un hybride du Monopoly et du jeu de ‘OIE. Mais beaucoup plus cérébral que les dernières nouvelles.

Nihel Beranger

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