Depuis quelques années, nous vivons une dégradation du contexte sécuritaire international, dans un monde de plus en plus dur, avec le multilatéralisme et le droit en cause. De grands concurrents, ainsi que certaines puissances régionales émergentes, n’hésitent pas, pour faire valoir leurs prétentions, à recourir à l’utilisation de capacités militaires, souvent agressives, parfois juste en dessous du seuil du conflit armé. Ce durcissement, qui génère des frictions évidentes et comporte un réel risque d’escalade, remet en cause les grands principes qui régissent les relations internationales et la liberté d’action de nos pays.
Partant de ce constat, nous considérons que le triptyque « compétition-contestation-confrontation » constitue une grille de lecture stratégique plus adaptée au monde d’aujourd’hui.
La concurrence est désormais l’expression normale du pouvoir. Elle est économique, militaire, culturelle, diplomatique, sociale, etc. En compétition, les forces armées doivent pouvoir répondre de manière proportionnée à des actions qui restent en deçà du seuil de conflit armé. Il s’agit, entre autres, de produire des effets dans des domaines immatériels de plus en plus importants. Cet état correspond à une forme de « guerre avant la guerre », dans laquelle nous devons être capables de prévenir les risques d’escalade et ainsi dissuader nos concurrents, en affirmant notre détermination et notre crédibilité.
La contestation se produit lorsqu’un acteur décide de transgresser les règles communément acceptées pour obtenir un avantage. Pour les forces armées, il est alors nécessaire d’éliminer l’incertitude et d’éviter l’imposition d’un fait accompli. Cela nécessite des compétences adéquates et surtout une grande réactivité. La contestation est la guerre « juste avant » la guerre.
Enfin, l’affrontement est « la » guerre. Être capable de mener une guerre nécessite un haut niveau de préparation opérationnelle, des réserves et, surtout, une excellente interopérabilité avec nos alliés.
En tant que chef d’état-major des armées françaises, l’un des axes principaux de mon action est de faire de la formation une nouvelle dimension dans les combats à livrer, avec nos partenaires. Cet objectif porte en lui la dimension collective de notre action, qui est fondamentale. La vocation des Forces armées françaises est l’engagement au sein d’une coalition, aux côtés de nos alliés et partenaires, parmi lesquels et en premier lieu les Etats-Unis. Quant à notre priorité, c’est de faire face à la menace la plus probable, c’est-à-dire celle posée par les prétentions, les actions et la politique du fait accompli de nos principaux concurrents, en premier lieu aux frontières de l’Europe.
Face à cette menace, le Portugal et la France sont aux avant-postes et souvent côte à côte. Nos engagements respectifs sont très significatifs et je suis convaincu qu’ils portent en eux les germes d’une solidarité européenne stratégique en laquelle je crois profondément et que je souhaite développer, notamment dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui débutera en janvier 2022.
Cette solidarité stratégique n’est pas une incantation, ni une critique de l’OTAN. Pour la France, l’Alliance atlantique est le cadre privilégié pour entrer dans un conflit de haute intensité. Cependant, il est essentiel de développer un esprit de solidarité européenne, dans le cadre de l’Alliance, garantissant notre capacité à agir au bon moment, au moins dans les situations de concurrence et de contestation, même si les États-Unis décident de ne pas intervenir.
Comment construire cette solidarité européenne stratégique ? Il me semble que les engagements du Portugal et de la France sont une excellente illustration des voies à suivre.
Au niveau conceptuel et prospectif d’abord : au sein de l’Union européenne, lors de sa présidence, Lisbonne a soutenu le projet – aussi emblématique qu’indispensable – de Strategic Compass, que Paris espère mener à bien lors de sa présidence l’année prochaine. Nos deux pays contribuent pleinement aux travaux d’anticipation menés dans le cadre de l’Initiative Européenne d’Intervention et sont impliqués dans de nombreux projets PESCO (Coopération Structurée Permanente). Enfin, Lisbonne et Paris sont des membres actifs de l’Alliance atlantique et sont fortement impliqués dans le développement de son nouveau concept stratégique.
Deuxièmement, au niveau opérationnel, les forces armées portugaises et françaises sont engagées sur un grand nombre de théâtres d’opérations. Au Sahel, ils s’emploient à stabiliser les États de la région menacés par le terrorisme. Présente depuis 2013, la France adapte le dispositif de l’opération Barkhane pour se concentrer sur des missions d’entraînement et de partenariat de combat au profit des forces locales. A terme, le nouveau dispositif militaire s’appuiera sur des capacités robustes et plusieurs milliers d’hommes. Elle tiendra pleinement compte de l’engagement de nos alliés et partenaires. Le Portugal est déjà présent dans la force Takuba et prévoit d’augmenter sa participation d’ici la fin de l’année. Il est également impliqué dans la MINUSMA et l’EUTM Mali. En Centrafrique, nos forces armées sont présentes au sein de la MINUSCA et de l’EUTM RCA. Dans le golfe de Guinée, notre coopération maritime de longue date, désormais renforcée dans le cadre des Présences Maritimes Coordonnées de l’UE, contribue à la sécurité maritime dans cette zone. Enfin, Lisbonne a soutenu avec succès le lancement et la mise en œuvre de l’opération EUTM Mozambique, pour assister Maputo face à la menace des groupes terroristes armés. Dans le cadre de la solidarité qu’elle défend, la France envisage de participer à cette opération en soutenant les Forces armées portugaises.
Nos Forces armées s’engagent également à défendre les intérêts stratégiques de l’Europe sur ses flancs nord et est. Ils participent aux missions de renforcement de la sécurité et d’entraînement de l’OTAN dans les États baltes et en Pologne, avec des moyens terrestres, maritimes et aériens.
La France veut être un allié fiable et crédible pour la sécurité et la défense de l’Europe, au nom d’une vision commune du monde. Elle entend le démontrer par un investissement constant dans le développement d’une conscience militaire collective et par un engagement sans faille aux côtés de ses alliés, dans les opérations de l’UE, de l’OTAN, de l’ONU et même dans des opérations ad hoc. L’émergence d’une conscience stratégique passe par la création de liens opérationnels, d’une connaissance mutuelle et d’une interopérabilité indispensable pour faire face ensemble aux menaces émergentes. À cet égard, j’espère que nous approfondirons davantage nos relations militaires bilatérales.
Chef d’état-major des armées françaises
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