« Les Français ont tourné le dos à la politique »

Il y a quatre ans, François Hollande quittait la présidence française pour passer le relais à Emmanuel Macron. Son quinquennat mouvementé (2012-2017) a d’abord été marqué par la crise économique de la zone euro ; puis pour les réfugiés ; et, enfin, par la vague d’attentats terroristes. Hollande a expulsé l’Elysée avec une cote de popularité extrêmement faible.

Son départ à la retraite ne l’a cependant pas laissé en marge de la situation actuelle dans son pays, qui vient d’organiser des élections régionales avec peu de participation. « Aujourd’hui les Français ont tourné le dos à la politique, on le voit avec des taux d’abstention si élevés aux élections », déplore-t-il, attribuant ce « désenchantement » à la désagrégation des partis traditionnels.

Comment est votre quotidien ?

Je détermine mon emploi du temps. Je reçois un certain nombre de délégations, d’intellectuels, de chercheurs. J’ai un programme assez complet. Je crois que le rôle d’un ancien président est d’aller à la rencontre des jeunes, qui sont très loin de la politique, très loin des institutions et qui s’interrogent sur l’utilité de la démocratie.

Quel héritage avez-vous laissé à la France ?

En matière économique, j’ai permis au pays de sortir de la crise dans laquelle il était plongé depuis 2008. La deuxième empreinte a été la réduction des inégalités. Et la troisième, une marque sociale qui a été vue dans la question du mariage pour tous, bien que les Espagnols l’aient déjà fait. Enfin, quelque chose qui n’était pas à mon programme, mais qui relevait de ma responsabilité en tant que chef de l’État : j’ai assumé une grave crise terroriste, que nous avons surmontée non seulement avec des opérations à l’étranger ou avec des mesures de sécurité intérieure.

J’ai été à la hauteur en empêchant les Français de se fracturer sur la question du terrorisme et de l’islamisme.

Quand vous regardiez les sondages de popularité à l’époque, qu’est-ce qui vous passait par la tête ?

Que ce n’est pas facile de gouverner et qu’il est normalement ingrat de diriger un grand pays car on ne prend pas nos lauriers tout de suite. Plusieurs fois, les éloges viennent lorsque vous démissionnez. J’ai vécu de manière stoïque l’impopularité. Cela ne m’a pas empêché de continuer à entreprendre des réformes.

Les Français sont-ils ingrats ?

Non, ils sont exigeants. La France a toujours été une nation très engagée. Aujourd’hui les Français ont tourné le dos à la politique, on le voit avec une si forte abstention aux élections. Ce désenchantement de la démocratie est lié aux partis successifs qui ont gouverné et n’ont pas apporté les résultats escomptés, mais il est aussi la conséquence d’un effondrement des grandes forces démocratiques. Les grands partis doivent trouver leur rôle.

Avez-vous pleuré pendant votre mandat?

Cela m’est arrivé une fois et pas à propos de moi, il vaut mieux éviter toute forme de compassion égocentrique. Je n’ai pas pu éviter les larmes lors de la cérémonie des attentats du Bataclan (2015). Nous étions tous très excités ensemble.

Est-ce qu’être président est aussi solitaire qu’on le dit ?

Oui, dans le sens où c’est lui qui décide tout seul. Mais cette solitude ne peut pas être institutionnelle. Un président a besoin de conseils, de dialogue, d’accord…

Quels sont les trois principaux regrets de votre mandat?

Sur le plan international, ne pas être intervenu en Syrie en août 2013 après que Bachar al-Assad a utilisé des armes chimiques. La France ne pouvait pas agir seule. Je suis désolé que Barack Obama ne nous ait pas soutenus. Si à l’époque nous avions attaqué le régime syrien, nous aurions sans doute évité la radicalisation.

La seconde est que nous avons été trop lents à combattre la crise financière. C’est vrai que c’était un succès d’avoir maintenu l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce dans la zone euro, mais on aurait pu le faire plus vite.

Le troisième était de proposer le retrait de la nationalité (française) aux criminels terroristes alors qu’il n’y avait pas de consensus pour le faire.

Comment voyez-vous Macron ? Est-il possible de voir Marine Le Pen comme présidente de la France en 2022 ?

Macron n’a pas encore terminé son mandat, on verra s’il est à nouveau candidat, même si tout indique qu’il se prépare. Le jeu est très ouvert. La droite n’a pas encore choisi son candidat. Actuellement, la gauche n’est pas seulement divisée, elle n’a personne pour la représenter.

Quant à l’extrême droite, elle se nourrit des faiblesses des autres partis. Il faut avancer pour que le parti de Le Pen reste à son niveau, qui est déjà assez élevé, proche de 20%, selon les sondages. Mais si les partis continuent dans le processus de décomposition et que l’offre politique reste peu attractive, il y a un risque que l’extrême droite l’emporte.

En tout cas, je crois qu’il y aura une mobilisation pour empêcher son élection, même s’il y a beaucoup de gens qui disent que les électeurs, surtout ceux de gauche, ne voteront pas s’il y a un second tour entre Macron et Le Pen. Je ne vois pas ce scénario.

Quand vous avez appelé Macron à rejoindre votre gouvernement, avez-vous imaginé qu’il deviendrait plus tard président ?

Honnêtement non. Et quand je l’ai nommé ministre de l’Économie, je n’imaginais pas qu’il songeait à être candidat.

Nihel Béranger

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