« Madame mère, je lui dois toute ma chance et tout ce que je lui ai fait de bien » » La Gazzetta di Lucca

Colonnes : Passions napoléoniennes

Mardi 1 février 2022, 08:38

par renata frediani

Les trois figures féminines qui aimaient Napoléon, les véritables références affectives, solides, sincères, au-delà de tout intérêt politique ou de pouvoir, étaient : la première épouse Joséphine, sa sœur Paolina et sa mère Letizia Ramolino.

Ce qui est certainement frappant, c’est l’histoire d’une très jeune femme, seulement âgée de quatorze ans, qui, alors qu’elle allaite un nouveau-né assis près d’un bivouac, attend son jeune mari de dix-huit ans, Carlo Maria Buonaparte (changé en Bonaparte par Napoléon en 1796 ). Il s’agit de Maria Letizia Ramolino née à Ajaccio le 24 août 1749. Elle est issue d’une ancienne famille toscane, installée en Corse depuis des générations, et elle est la fille de l’inspecteur en chef des voies de communication d’Ajaccio. Elle épousera un patriote ambitieux et convaincu, Charles Marie Bonaparte, né à Ajaccio le 29 mars 1746. Il avait étudié le droit à Rome et à Pise et s’était garanti l’amitié de Pasquale Paoli pour avoir participé aux luttes de libération en Corse, contre la Des Génois qui, convaincus de l’impossibilité de le conserver, le cédèrent à la France en 1768.

Letizia est une femme moderne, courageuse et dotée d’un fort tempérament. Elle accompagnait fièrement son mari qui était militaire avec Pasquale Paoli. Elle le suivit à cheval à travers les montagnes escarpées et à travers les bois, portant son premier enfant dans ses bras et le second encore dans son ventre jusqu’à quelques jours après sa naissance. Il dira plus tard : « Je me suis souvent poussé, sortant de la cachette dans les montagnes, jusqu’au champ de bataille, afin d’avoir des nouvelles, et j’entendais le sifflement des balles, mais je ne craignais rien, protégé par la Madone » .

Après la défaite contre les Français à la bataille de Ponte Nuovo, le 8 mai 1769, Pasquale Paoli est exilé en Angleterre et la Corse devient une possession française. Dans cette bataille, Carlo Bonaparte a également été vaincu, qui, avec sa femme Letizia et son fils aîné Giuseppe, qui n’avait qu’un an, a dû se réfugier dans les montagnes de Monte Rotondo avec d’autres patriotes. Ce n’est qu’après un armistice que tous les rebelles purent rentrer à Ajaccio.

Letizia, le jour de l’Assomption, se rendit à la cathédrale d’Ajaccio pour assister à la fête de la Madone mais, saisie d’une vive douleur, elle dut vite courir chez elle pour accoucher de son deuxième enfant. Il n’eut pas le temps de rejoindre la chambre où naquit l’enfant, Napoléon prononça avec l’accent corse « Napolione » et appelé par la famille « Nabulio ». Il était environ 12 heures le 15 août 1769. Que dire, Napoléon avait déjà manifesté une hâte à sa naissance, il ne lui faudra que vingt ans pour révolutionner l’Europe.

Letizia Ramolino, femme d’une élégance austère, d’une grande beauté physique et surtout morale, a toujours été équilibrée dans la gloire et dans la défaite. Elle a gardé son allure royale et modérée : à la fois en tant que Madame Mére, et dans les années de difficultés économiques après la mort de son mari en 1785. Elle s’est toujours consacrée avec dévouement à la grande famille. Elle avait donné naissance à treize enfants, mais seuls huit avaient survécu, trois filles et cinq garçons. Des sources rapportent que Letizia était économe et gardait ses affaires bien en place. Napoléon se souviendra dans le Mémorial de Sainte-Hélène : « Ce fut un excès de prévoyance de sa part. […] Sa terrible peur était qu’un jour il se retrouve sans rien […]. Cette femme qui aurait à peine arraché un bouclier était la même qui, à mon retour de l’île d’Elbe et après Waterloo, aurait jeté tout ce qu’elle possédait à mes pieds pour venir à mon secours, me proposa-t-elle. Elle aurait voulu manger le pain du pauvre à vie sans se plaindre, heureuse de contribuer à ma fortune ».

Napoléon a hérité de sa mère la fermeté de caractère, l’amour du travail, la rigueur dans les affaires, dont il avait un grand respect et répétait : « ma mère est une excellente femme d’esprit et de cœur. Il a un caractère courageux, fier et noble. C’est à elle que je dois toute ma chance et tout ce que j’ai fait de bien.  »

Son Altesse Impériale, Madame Mére, ainsi proclamée par Napoléon en 1804, habitera le Paris de son choix, loin des Palais du pouvoir. Elle refusera d’habiter le Palais des Tuileries, mais établira sa résidence au Château de Pont-sur-Seine offert par son fils l’Empereur. Toujours opposée aux fastes de l’Empire, elle répétait : « Pourvu que ça dure ! (Tant que ça dure). Madame Mère était la mère de l’Empereur Napoléon Ier, de Maria Annunziata Carolina Bonaparte reine de Naples, de Maria Anna Bonaparte, dite Elisa, princesse de Lucca et Piombino et grande duchesse de Toscane, de Maria Paola Bonaparte, dite Paolina, princesse Borghese, de le roi Joseph Ier d’Espagne, Louis de Hollande, le roi Jérôme de Westphalie.

Madame Mère semble une figure marginale, mais en réalité elle entre dans le tourbillon de la vie extraordinaire et intense de son fils, général, consul et empereur. Une vie faite de distribution de couronnes, d’étiquettes de cour rigides qui dans son apparente neutralité était, en réalité, décisive, le vrai chef de famille.

Au moment le plus dramatique de sa vie, lorsque Napoléon fut exilé sur l’île d’Elbe et contraint de signer le traité officiel d’abdication (11 avril 1814), Maria Letizia, malgré une douleur immense, réussit à soutenir son fils dans le déménagement île d’Elbe.

Letizia possédait une grande force d’esprit, cette force qu’elle avait toujours exercée silencieusement en elle-même, déjà depuis l’âge de quatorze ans, quand, enveloppée dans une couverture près du bivouac, elle allaitait son nouveau-né et gardait à son côté une épée, pour se défendre en cas d’agression. C’était une femme qui partageait la vie sur le champ de bataille avec son jeune mari.

Elle a rejoint son fils en exil sur l’île d’Elbe, mais n’a jamais été autorisée par les puissances européennes à le rencontrer pendant la période du triste exil dans l’île reculée de Sant’Elena. Ce veto cruel a été imposé par les Habsbourg et les Britanniques, malgré le fait que le tsar Alexandre Ier n’était pas d’accord avec cette décision. La confidentialité des correspondances n’a même pas été respectée, en effet les lettres qu’elle adressait à son fils étaient ouvertes. Napoléon affirmera dans son Mémorial sur une lettre dépourvue du sceau et venant d’Europe : « c’est une lettre de ma mère. Il va bien et veut me rejoindre. Pauvre maman! ». Les lettres précédentes envoyées par son oncle, le cardinal Fesch, étaient également arrivées avec le sceau enlevé. Le gouvernement britannique a également opposé son veto à appeler Napoléon sa majesté. À ce moment-là, la personne concernée a demandé et obtenu des Anglais gouvernement d’être appelé par son nom et son prénom, Napoléon Bonaparte.

N’ayant pas la possibilité de le joindre, Madame Mère, pendant toute la période d’exil sur l’île de Sainte-Hélène, fit tout son possible, avec l’aide du Cardinal Fesch, et du Pape Pie VII pour obtenir de meilleures conditions de vie pour son fils exilé. sur l’île la plus reculée du monde. Le cardinal était le demi-frère de Madame Mère, donc l’oncle de Napoléon. Leurs efforts conjoints ont réussi à faire envoyer à Napoléon un médecin, le Dr Francesco Antommarchi, car il était gravement malade depuis des mois sans recevoir aucun traitement. Selon une lettre envoyée par Sainte-Hélène du fidèle général Bertrand au cardinal Fesceh, les objectifs d’envoyer un prêtre catholique, un serveur et un cuisinier pour remplacer les malades ont également été atteints.

Seul le triste souvenir de la dernière rencontre qui eut lieu le 29 juin 1815 reste dans le cœur de Letizia Bonaparte. Après la défaite de Waterloo, Letizia se tourne vers Napoléon pour un touchant salut les yeux pleins de larmes qui lui tombent sur le visage « Au revoir mon fils » « Au revoir ma mère », sans savoir que ce serait la dernière fois qu’ils se verraient.

A la nouvelle de la mort de son fils Napoléon, arrivée avec environ un mois et demi de retard, Letizia va être anéantie. Il passera 15 ans de sa vie dans la douleur et dans les souvenirs d’affections importantes perdues. Avant de mourir, désormais infirme et presque aveugle, elle apprit que le roi Louis-Philippe, duc d’Orléans, avait fait restaurer la statue de Napoléon sur la colonne Vendôme. Cette nouvelle fut sa dernière et unique joie. Le 2 février 1836 à l’âge de quatre-vingt-six ans Madame Mère, son Altesse Impériale et mère de l’Empereur Napoléon Ier, meurt après une vie intense, vécue sans fanfare mais, toujours en première ligne, une vie économe dans la joie mais forte et courageuse dans l’adversité et dans la douleur. En 1859, le neveu de l’Empereur, Napoléon III, dépose les cendres de sa grand-mère Letizia Ramolino à la chapelle impériale de la ville d’Ajaccio.


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Nihel Béranger

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