Ce film d’il y a 100 ans : le parcours du combattant du maître français

Presque tout le monde sait maintenant qu’Alfred Hitchcock est venu à Gênes en 1925 pour tourner la première prise de son premier film, The Pleasure Garden, à la Stazione Marittima. Mais avant lui s’était déjà rendu à Gênes un autre grand réalisateur étranger, bien plus célèbre qu’Hitchcock à l’époque : le Français Louis Delluc, qui il y a exactement un siècle, entre décembre 1921 et janvier 1922, est venu tourner quelques scènes de ce qui est considéré comme son chef-d’œuvre, La femme de nulle part.
Delluc était un jeune écrivain qui méprisait d’abord le cinéma, mais avait découvert plus tard les films américains de De Mille, Chaplin & Co, s’enthousiasmant pour le nouvel art. Non seulement il avait commencé à faire des films, mais il avait fondé des magazines, il avait promu des ciné-clubs, il était devenu l’un des premiers théoriciens du cinéma d’art. Il est mort jeune, mais l’une des récompenses les plus prestigieuses du cinéma français porte toujours son nom, et dans son histoire, elle est allée à Renoir, Truffaut, Godard, Rohmer, Chabrol.

Ce qui lui est arrivé à Gênes, il nous le raconte lui-même dans un magazine d’époque, Mon Ciné, que j’ai réussi à trouver il y a quelques années chez les boquinistes. La femme de nulle part concerne une femme qui vit dans une villa ligure et attend que son mari aille passer une nuit à Gênes pour s’évader avec son amant : juste à la veille de l’évasion, cependant, un vieil « inconnu » arrive, à qui elle raconte comment elle aussi, des années plus tôt, avait vécu une situation similaire à cet endroit.
« Les intérieurs ont été tournés dans les studios Gaumont, les extérieurs en Provence entre Nîmes et Arles (la villa), puis à Saint-Raphaël et enfin à Gênes, l’hiver dernier, se souvient Delluc. Et voici le plaisir. « Il n’y avait pas encore de Conférence internationale dans cette ville, mais déjà de nombreux policiers agaçants persécutaient les pauvres cinéastes français dans ce port où Maciste était un transporteur il n’y a pas si longtemps », ajoute Delluc exaspéré.

Du livre publié des années plus tard par son neveu Gilles Delluc on apprend d’autres détails : il y a les dates précises du tournage (décembre-janvier), on parle d’une villa près de Gênes, on se souvient que le protagoniste le plus âgé devait initialement être joué d’Eleonora Duse, contrainte de céder la place au compagnon de l’actrice et réalisatrice Eva Francis pour des raisons de santé. La localité près de Gênes a souvent été indiquée à Pegli, vous pouvez certainement voir diverses vues génoises, de la gare Principe au port, en passant par les marches de la via Andrea Doria. La nuit, son mari (l’acteur Roger Karl, qui appellera ses mémoires Journal d’un homme de nulle part) se rendra également dans un club des ruelles, où – selon Delluc –  » la belle danseuse nue Edmonde Guy avait fait un magnifique création plastique » éliminée par la censure.

Dans le film, la station Ospedaletti est également vue à quelques reprises, mais le soupçon persiste que Delluc avait l’intention de tourner plus de scènes et a été entravé par les gardes locaux. Le pire sort était en effet arrivé à une troupe de compatriotes qui en 1909 tournaient une scène chez De Ferrari mais ont tous été emmenés au poste de police avec saisie du film. Le fait que dans les années 1920 deux grands réalisateurs étrangers comme Delluc et Hitchcock aient choisi Gênes signifie que la ville et son port avaient une réelle importance internationale. Le fait que Delluc ait été gêné de toutes les manières et qu’Hitchcock se plaigne encore en 1972 d’avoir été volé et d’y avoir vécu un cauchemar, signifie une autre chose : l’« accueil typique de la Ligurie » était déjà en action.

Nihel Béranger

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