Abus sexuels : le rapport choquant sur l’Église de France doit être bien lu

« Je suis horrifié par le nombre de personnes qui se déclarent victimes d’agressions sexuelles au sein de l’Église. Je suis profondément consterné, humilié par l’incapacité de l’Église, de ses autorités, de ses communautés à percevoir la souffrance des victimes et à comprendre la menace que représentait tel ou tel prêtre, tel religieux ou tel religieux ». Ainsi Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence épiscopale de France, a réagi lire le rapport final de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Cias).

Les conclusions du rapport sur les abus sexuels

Le rapport a été demandé par l’Église catholique française elle-même, qui a mandaté le 7 novembre 2018 une commission indépendante pour évaluer l’ampleur du phénomène des abus sexuels sur enfants dans l’Église française. La commission composée d’une vingtaine d’experts dans différents domaines, présidée par Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État, a travaillé pendant trois ans et a terminé sa mission le 5 octobre en remettant un rapport de 485 pages à la Conférence épiscopale. . y compris 2 000 autres pages de pièces jointes et 45 recommandations.

Selon le rapport « choquant », comme l’épiscopat français l’a lui-même défini, entre 1950 et 2020 au moins 216 000 mineurs ont été victimes d’abus sexuels par 2 900 à 3 200 membres du clergé en France (soit 2,5 à 2,8 % du total) . Si l’on considère aussi les abus commis par les laïcs au sein des institutions ecclésiastiques, le nombre de victimes s’élève à 330 000. Cela représente 4% des abus sexuels commis au cours de la même période à travers le pays. En ce qui concerne le taux de prévalence, c’est-à-dire le risque qu’un mineur soit victime de pédophilie dans une certaine institution de la société, l’indice est égal à 0,82 % dans l’Église, 0,36 % dans les colonies, 0,34 % dans les écoles publiques et 0,28 % dans le sport.

« L’Eglise n’a pas pu empêcher »

Selon l’auteur du rapport, Jean-Marc Sauvé,

« Il y a une responsabilité systémique de l’Église. Qui, en effet, a recruté, formé, ordonné et assigné un rôle à ces prêtres et religieux en leur donnant le pouvoir considérable de célébrer les sacrements, de pardonner les péchés et d’accompagner spirituellement hommes, femmes et enfants ? L’Église ne savait pas voir, elle ne savait pas écouter, elle ne savait pas gérer, elle ne savait pas empêcher : c’est en quoi consiste sa responsabilité ».

Ce sont des estimations, pas des cas confirmés

Si ce sont là les chiffres les plus marquants contenus dans le rapport, il est important d’y insister pour mieux comprendre le contenu et la portée de « cette importante œuvre de vérité », comme l’a défini le président de la Conférence épiscopale de France. La Commission parle de 216 mille victimes sur la base d’une enquête réalisée en ligne par l’Ifop, et commanditée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), sur un échantillon représentatif de 243.601 personnes, dont 28.010 personnes ont répondu intégralement.

1,2 % des 28 010 personnes qui ont répondu au questionnaire en ligne ont déclaré avoir pratiqué des activités liées à l’Église catholique dans leur jeunesse et avoir subi des abus sexuels. Le chiffre tombe à 0,8% si l’on exclut les abus commis par les laïcs. Ce 0,8% a ensuite été paramétré à la population nationale et c’est de cet exercice d’approximation que se dégage l’« estimation » de 216 mille victimes.

En plus du sondage, la Commission a lancé un « appel à témoigner », recevant 3 652 témoignages téléphoniques, 2 459 courriels et 360 lettres. Ces témoignages ont été évalués par le groupe France Victimes sans évidemment la rigueur que peut dériver une information judiciaire. Les archives ecclésiastiques et les cas publiés publiquement dans les chroniques françaises ont également été pris en considération.

Le pilori injuste contre Barbarin et Pell

Souligner qu’il s’agit d' »estimations » et non de cas avérés n’est pas une manière de diminuer la gravité de ce qui est contenu dans le rapport, que personne ne remet en cause, mais sert à ne pas donner lieu à une « chasse au prêtre pédophile » aveugle. En France, par exemple, le fondateur de la Parola Liberata, association des victimes du Père Preynat à Lyon, il a déclaré se référant aux évêques:

« Vous êtes une honte pour l’humanité, vous avez bafoué le droit divin naturel, l’obligation de protéger la vie et la dignité de la personne humaine. Vous avez trahi la confiance, la morale, l’innocence, l’Evangile. Tu es coupable de lâcheté, faiblesse, dissimulation, stratégie, silence, hypocrisie, mensonges, subterfuges et compromis abjects ».

Avec la même férocité de cet acte d’accusation sans appel, la fondation a mené la campagne médiatique et judiciaire contre le cardinal Philippe Barbarin, accusé d’avoir protégé des prêtres abusés sexuellement. Le pilori qui s’est déchaîné depuis plus de cinq ans contre l’ancien archevêque de Lyon n’a été interrompu que après son acquittement définitif pour n’avoir commis aucun crime ou dissimulé des abus. Le même pilori a également touché le cardinal George Pell en Australie, acquitté le 7 avril 2020 de l’accusation d’avoir commis d’horribles abus sexuels après avoir passé 405 jours en prison en tant qu’innocent.

Les actions de l’Église pour prévenir les abus sexuels

Pour en revenir au constat, certaines données témoignent également des avancées importantes réalisées par l’Église (française et universelle) au cours des dernières décennies pour lutter contre le phénomène des abus. La majorité des agressions sexuelles estimées (56 pour cent) ont eu lieu entre 1950 et 1970, le chiffre tombe à 22 entre 1970 et 1990, tandis que 22 pour cent ont eu lieu entre 1990 et 2020. De plus, le rapport entre les abus commis dans des environnements ecclésiastiques par rapport à ceux survenant dans d’autres domaines de la société diminue avec le temps : elle passe de 8 pour cent dans la période 1950-1970 à 2,5 pour cent (1970-1990) jusqu’à 2 (1990) -2020).

Quant au taux de prévalence des abus dans l’Église, 0,82 % entre 1950 et 2020, il tombe à 0,30 après les années 1980. Alors que le pourcentage de religieux coupables d’abus, de 2,5 à 2,8 % sur l’ensemble de la période étudiée, tombe à 0,26 si l’on ne considère que les années 2018 à 2020.

Le tabou de l’homosexualité

Enfin, parmi les données qui font le plus réfléchir, il y a celle concernant le sexe de l’abusé. Si dans l’ensemble de la société les victimes sont dans 75 % des cas des femmes et dans 25 % des hommes, au sein de l’Église le chiffre est inversé : les victimes sont composées de 80 % d’hommes et 20 % de femmes.

Le rapport ne fournit aucune explication ni risque d’interprétation de ce fait et semble donc succomber à l’air du temps. La Commission n’a évidemment pas voulu aborder le problème de l’homosexualité de nombreux prêtres de peur de briser un tabou. Pour poser franchement la question au président de la Commission, Jean-Marc Sauvé, mais le Figaro: « Parmi les sujets tabous figure celui de l’homosexualité, vécue ou non dans la chasteté, de certains prêtres. Nous ne voulons pas confondre ce thème avec celui de la pédophilie, mais êtes-vous concerné par ce point ? « Le rapport est prudent quant à l’interprétation de ces données », est la réponse furtive mais indicative. « Mais il y a probablement d’autres causes que celle de la simple « opportunité » résultant du fait que le clergé et les religieux étaient principalement en contact avec mâles ».

Le thème n’est pas nouveau et avait été affronté avec beaucoup plus de courage par Benoît XVI. Dans le Remarques publié en avril 2019, deux mois après l’importante rencontre au Vatican promue par le pape François sur l’urgence de la pédophilie dans l’Église, a identifié la « libération sexuelle » de 1968, la « dissolution de l’autorité doctrinale de l’Église en matière morale » et la dégradation des séminaires, où se formaient des « clubs homosexuels qui agissaient plus ou moins ouvertement ».

La demande d’abolition du secret confessionnel

Le rapport reconnaît également le prix payé à certaines idéologies en vogue ces dernières années en faisant défiler les 45 recommandations que la Commission fait à la Conférence épiscopale française pour limiter le fléau des abus sexuels. En plus de recommander l’accueil et l’écoute des victimes, la reconnaissance de leurs responsabilités et la reconnaissance des indemnisations, une réforme du droit canonique des modalités d’appréciation des cas d’abus, intervient face aux soupçons et les responsables sont sanctionnés , la Commission entre le pied droit « dans le domaine de la théologie, de l’ecclésiologie et de la morale sexuelle ».

La commission propose tout d’abord d’abolir l’obligation du secret confessionnel pour le prêtre s’il est confronté à l’aveu des péchés inhérents aux abus sexuels. Cette mesure a déjà été proposée, e dans certains cas même approuvé, dans plusieurs états d’Australie. Mais comme l’a noté l’archevêque de Perth, Timothy Costelloe, la proposition ne fait qu’empirer les choses puisque d’une part elle pousserait les prédateurs à ne pas avouer leurs péchés – une démarche qui pourrait aussi conduire à un aveu de culpabilité devant la justice – et d’autre part d’autre part cela pourrait nuire aux victimes :

« Si c’est quelqu’un qui veut révéler qu’il a été abusé, confiant que le confessionnal est un endroit sûr pour en parler, confiant que ce qui a été dit restera secret, lui aussi renoncera à venir, et peut-être qu’il ne le fera pas. pouvoir faire face à ce qui s’est passé. C’est pourquoi je crains vraiment que le résultat de ce changement puisse être moins, pas plus, de sécurité pour les enfants et les jeunes ».

« Considérant l’ordination des hommes mariés »

Il est alors conseillé à l’Église d' »évaluer l’ordination sacerdotale des hommes mariés » et d' »identifier les exigences éthiques du célibat », ainsi que de « désacraliser » la figure du prêtre en quelque sorte « en évaluant le risque de lui conférer une position héroïque ou de domination ». Elle propose également d’évaluer si « l’excès paradoxal de fixation de la morale catholique sur les questions sexuelles n’a pas un effet contre-productif » et de privilégier « une réflexion doctrinale sur la sexualité afin qu’elle ne soit pas séparée des exigences de l’égale dignité de toute personne humaine « . Il est également demandé de ne pas considérer les cas d’abus sexuels comme concernant le sixième commandement (« Ne commet pas d’actes impurs »), mais le cinquième (« Tu ne tueras pas »). Enfin, il est suggéré de « renforcer la présence des laïcs et des femmes dans les sphères décisionnelles de l’Église catholique ».

Bien qu’il soit facile de voir comment ces changements doctrinaux peuvent nuire à l’Église, il n’est pas clair comment ils peuvent aider à prévenir les abus sexuels et à les signaler rapidement lorsqu’ils se produisent.

Benoît XVI et la crise de la foi

Certes, en matière théologique et doctrinale, l’Église de France ferait bien d’écouter d’abord Benoît XVI, qui dans le Remarques a lié la crise de l’abus à la crise de la foi :

«[Un mondo senza Dio] d’une manière ou d’une autre, il serait simplement là, et il serait dépourvu de tout but et de tout sens. Il n’y aurait plus de critères du bien et du mal. Par conséquent, seul ce qui est plus fort aurait de la valeur. Le pouvoir devient alors le seul principe. La vérité n’a pas d’importance, en effet elle n’existe pas. Ce n’est que si les choses ont un fondement spirituel, seulement si elles sont voulues et réfléchies – seulement s’il y a un Dieu créateur qui est bon et veut le bien – que la vie de l’homme peut aussi avoir un sens. […] Quand Dieu meurt dans une société, elle devient libre, nous a-t-on assuré. En vérité, la mort de Dieu dans une société signifie aussi la fin de sa liberté, car le sens qu’elle offre à l’orientation meurt. Et parce que le critère qui indique la direction échoue, nous apprenant à distinguer le bien du mal. La société occidentale est une société dans laquelle Dieu est absent de la sphère publique et pour laquelle il n’a plus rien à dire. Et pour cette raison, c’est une société dans laquelle le critère et la mesure de l’humain sont de plus en plus perdus. Dans certains endroits, alors, il devient parfois soudainement perceptible qu’il est même devenu évident ce qui est mal et ce qui détruit l’homme. C’est le cas de la pédophilie ».

@LeoneGrotti

Photo Ansa

Nihel Béranger

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